Jeudi 28 novembre, j’aurai le plaisir d’intervenir dans le séminaire “Écrire une nouvelle histoire d’architecture : entre histoire culturelle et histoire de l’art”, dirigé par Olga Medvedkova, directrice de recherche au CNRS et ma collègue au Centre André Chastel.
L’objet de ce séminaire est de repenser l’histoire de l’architecture moderne, de la Renaissance aux Lumières, en examinant les limites des anciens modes d’écriture – stylistiques, nationaux, régionaux ou monographiques – et en proposant de nouvelles approches. Il s’agit d’explorer comment redonner à l’histoire architecturale une pertinence contemporaine, en tenant compte des apports de l’histoire culturelle et de l’histoire de l’art. Les discussions portent notamment sur le rôle de la théorie et des sources historiques (textuelles ou graphiques), l’équilibre entre objectivité (analyse critique des sources) et subjectivité (observation personnelle, relation vécue à l’espace), ainsi que sur les moyens de combler les lacunes documentaires. Il questionne également les notions de temporalité, de mémoire, de patrimoine, de morphologie et de topologie architecturales, tout en réfléchissant au jugement esthétique et à la sélection des détails dans l’écriture de cette histoire.

Les horloges publiques comme ornement architectural
Mon intervention consistera en une présentation de mon prochain livre sur la décoration des horloges publiques à l’époque moderne (XVe-XVIIIe siècles), projet au coeur de mon habilité à diriger des recherches en cours à l’Université de Fribourg. Ma présentation offrira une vue d’ensemble de cette recherche, avec un accent particulier sur des aspects spécifiquement liés à la question architecturale.
En effet, entre le crépuscule du Moyen Âge et l’aube de la Renaissance, les villes européennes se parent d’horloges mécaniques monumentales qui deviennent, presque aussitôt, les nouveaux symboles de la communauté civique, de son pouvoir politique et, plus largement, de sa maîtrise du temps. Ces monuments horlogers apparaissent aussi en raison de leur richesse ornementale – au luxe volontairement ostentatoire – comme les signes de la vitalité économique de la cité et de sa modernité culturelle.
Si ces horloges ont à l’origine – c’est-à-dire au tournant du XIIIe siècle – pris place dans des églises, les bâtiments publics deviennent à partir du XIVe siècle leurs nouveaux lieux d’élection. Beffrois et façades des hôtels de ville, tours défensives et portes d’entrée des enceintes urbaines – édifices éminemment stratégiques et idéalement situés – accueillent désormais ces spectaculaires « machines » à la croisée de l’architecture, de la technique et du décor. Leur présence, toujours plus nombreuse entre le XVe siècle et le XVIIe siècle, est le signe incontestable d’un nouveau rapport au temps, à ses rythmes, tout en contribuant à une singulière redéfinition du paysage urbain des villes modernes.
Automatisant le battement manuel des cloches, les horloges mécaniques monumentales – parfois dites astronomiques – font de la mesure du temps et de l’indication horaire un phénomène non seulement sonore, mais également désormais visuel. Dès le milieu du XVe siècle, les cadrans horlogers se voient ainsi volontiers ornés d’éléments de modénature, en sculpture souvent, en peinture parfois, accompagnant la modélisation de la mécanique céleste.
Cette pratique de décoration des cadrans se limite souvent à quelques interventions artistiques permettant d’embellir le monument à moindres frais. Dans les grands centres urbains en revanche, tout particulièrement aux XVIe et XVIIe siècles, l’installation – ou la restauration – d’une horloge publique s’accompagne fréquemment d’ambitieux programmes décoratifs en façades. Figures bibliques, mythologiques, historiques ou allégoriques se déploient alors dans des agencements complexes qui – si l’on s’en remet à l’étymologie du mot horloge – composent autant de discours sur le temps. Dans ces décorations monumentales – qu’il faut replacer au sein du phénomène plus large des façades ornées, tout spécifiquement des façades peintes –, l’ornement occupe toujours et en tout lieu une place absolument centrale.
À dire vrai, l’ornementation devient à la Renaissance la norme pour ces architectures du temps. « Embellir et enrichir » – la formule éponyme de ce colloque – ne semble jamais mieux s’appliquer qu’aux horloges publiques. En effet, rares sont les monuments artistiques de l’époque ayant bénéficié d’un tel soin de la part des édiles. Il faut dire que leurs enjeux, comme on va le voir, dépassent la simple commande artistique, puisqu’il en va de la représentation de la communitas civitatis, de la communauté de la cité, autrement dit de la ville en tant qu’entité sociale et dans son rapport au monde.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Florian Metral (28 novembre 2024). Conférence : “Les horloges publiques comme ornement architectural”, Sorbonne Université, Paris, 28 novembre 2024. Spectacles Célestes. Consulté le 17 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12s8v